Comment la Covid impacte l’e-Commerce et transforme l’industrie du luxe ?

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Introduction

 

La pandémie COVID-19 a bouleversé drastiquement toutes les prévisions économiques pour l’année 2020. Avec la fermeture des frontières internationales et des établissements physiques et l’isolement des gens chez eux, la pandémie a non seulement forcé de nombreux secteurs à réévaluer leur stratégie économique pour l’avenir mais a aussi contraint les consommateurs à changer brusquement leurs habitudes de consommation.

Le secteur du luxe n’échappe pas à la règle. Avec la Chine et l’Italie en confinement complet, le marché du luxe a rapidement connu ses premières pertes depuis plusieurs années. Ainsi, peut-on dire que même l’industrie qui ne connaît pas la crise a vacillé face à l’épidémie de Covid-19.

Pour rattraper ces pertes, les maisons de luxe devront innover et adapter leurs stratégies à la nouvelle réalité post-crise.

 

I. Un bouleversement des habitudes de consommation

 

Le confinement a influencé les comportements d’achats des consommateurs en les orientant essentiellement vers deux circuits de distribution :

  • les commerces de proximité
  • et l’e-commerce (le drive et la livraison à domicile).

 

De nouveaux profils de consommateurs e-commerce

Produits de première nécessité obligent, c’est le secteur de la grande distribution qui a été le premier à bénéficier de ces nouvelles habitudes d’achats. Ce secteur a su s’adapter rapidement aux nouvelles exigences des consommateurs, notamment en France, où la plupart des géants de l’agroalimentaire « ont fait preuve d’une remarquable agilité et d’une grande réactivité pendant la crise, trouvant de nouvelles solutions et développant le click&collect pour contourner les difficultés logistiques », selon Marc Lolivier, délégué général de la Fevad.

Selon une étude réalisée par Nielsen le 26 avril 2020, la part de marché du e-commerce généraliste sur le PCG (produits de grande consommation) et FLS (Frais libre-service) a presque atteint les 10% durant le confinement, soit un gain de plus de 4 points (5,7 % en 2019, 5,3 % en 2018). Ce succès s’explique essentiellement par le recrutement de nouveaux consommateurs !

Toujours, selon Nielsen, sur la première semaine du confinement, plus de 1,2 millions de foyers supplémentaires ont essayé les achats des PCG et FLS en ligne dont 500 000 sont des retraités, soit plus de 40% des nouveaux foyers à essayer l’e-commerce. Selon le baromètre e-commerce de Foxintelligence, plus d’une personne sur trois ayant effectué un achat alimentaire en ligne depuis le 16 mars le faisait pour la première fois dont en majorité les générations non « digital natives ».

Les baby-boomers (nés entre 1946 et 1965) constituent la cible ayant connu la plus forte pénétration avec plus de 70% de nouveaux acheteurs en ligne et celle de la génération X (née entre 1965 et 1980) de 39%.

 

II. Les défis des sites e-commerce face à la pandémie

 

Afin de subvenir au mieux à cette hausse de commandes en lignes soudaine, les enseignes agroalimentaires ont dû innover rapidement. Résultat : Auchan.fr proposait des créneaux horaires de commandes (pas de commande les mercredis par exemple). D’autres comme Carrefour.fr ont créé une liste d’attente virtuelle.

Avec le télétravail, les ventes de matériel informatique et de bureautique ont été multipliées par 5 selon le porte-parole d’Amazon France. Pour cela, Amazon a dû établir une liste d’articles jugés « essentiels » pour cette période qui ont été livrés en priorité comme l’alimentation, l’entretien, l’information, etc. Tandis que, tout le reste des livraisons a été repoussé à des dates lointaines ou post-confinement. Darty.com et Fnac.com quant à eux ont donné priorité à certains produits et à certains clients (dont les soignants) tout en gardant la globalité de leur catalogue.

Contrairement aux enseignes agroalimentaires, pour beaucoup de cybermarchands non-alimentaires, l’e-commerce est leur seul canal de distribution et plus précisément, les points de livraison chez les commerçants. La cesse d’activité de MondialRelay depuis le 17 mars n’a fait que rallonger les délais de livraison voire même bloquer pour d’autres. « Cela représente environ 20% des livraisons » selon François Momboisse (président de la Fevad).

Pour certains, le problème se loge dans leurs entrepôts. Les syndicats d’Amazon France se sont plaints des nouvelles mesures de sécurité sanitaire. Malgré les distances de sécurité de 2 mètres entre les personnes et l’évitement des croisements, certains employés ont été testés positifs au coronavirus. La direction d’Amazon France ne le chiffre pas encore mais, la productivité de la préparation des commandes s’est dégradée : une ligne de conditionnement sur deux fonctionne, en raison des mesures sanitaires. Le site e-commerce persiste mais difficilement.

Parmi les sites marchands ayant subi aussi les restrictions de circulation à plein fouet, nous retrouvons les sites de revente d’occasions ou de seconde main de luxe comme Vinted et le Vide Dressing. Ces sites marchands entre particuliers ont gardé leur plateforme ouverte et ont même noté une forte croissance de leur trafic. Pour le site Vide Dressing, depuis le 13 mars, une chute de transaction de 60% a été enregistrée, contre « une croissance de 30 % de nouveaux dépôts, notamment d’articles haut de gamme » selon le directeur exécutif de la marque. Avec la majorité de la population à la maison, les consommateurs ont plus le temps pour vider leurs placards et poster des articles en ligne. Seule contrainte, attendre le retour à la normale pour se faire livrer son article.

 

III. Comment le secteur du luxe a été impacté ?

 

Le Coronavirus s’impose comme un levier de croissance du e-commerce en général, mais aussi plus spécifiquement pour le secteur du luxe.

En effet, le virus accélère le passage de la vente traditionnelle brick and mortar au retail online. Les habitudes des consommateurs ont été bousculées pendant la période de confinement. L’e-commerce a convaincu de nombreux consommateurs parmi toutes catégories d’âges qui garderont leurs nouveaux usages après la réouverture des magasins.

 

Les conséquences économiques de la pandémie sont fortes et poussent les consommateurs à avoir une attitude plus raisonnable vis-à-vis de leurs dépenses. Ils vont donc avoir tendance à réduire leurs achats de luxe ce qui va avoir un impact négatif sur les ventes de l’industrie.

 

Un impact géographique : l’Italie et la Chine

Un rapport réalisé par Bain & Company a noté une contraction d’environ 25% sur Q1 2020 pour le marché du luxe mondial en conséquence de la crise actuelle. L’Italie est un des pays les plus touchés par cette crise sanitaire. Ceci impacte fortement l’industrie du luxe puisqu’un grand nombre de Maisons y voient localisés leurs sièges sociaux ainsi qu’une importante partie de leur production.

Par ailleurs, le secteur du luxe devient de plus en plus dépendant du marché chinois. L’étude réalisée par Bain & Co. indique que la Chine a représenté 90% de la croissance du marché du luxe mondial en 2019. Elle estime également qu’à l’horizon 2025 l’importance des clients chinois sera encore plus forte par rapport à aujourd’hui. Les ventes en Chine compteront pour presque la moitié des achats de luxe mondiaux, contre un peu plus d’un tiers en 2019. Les achats chinois vont être relocalisés en Chine, en diminuant leurs achats à l’étranger, tandis que le marché intérieur va s’accroître. La tendance à la hausse du marché chinois est donc inverse à celle des autres pays en déclin.

 

Les cas particuliers du tourisme et de l’horlogerie

La crise actuelle n’impacte pas les différents marchés du luxe de la même façon. Le tourisme de luxe est un des secteurs les plus touchés puisque les entreprises ont été contraintes de fermer en supprimant toute source de revenu. Le retail de luxe résiste mieux grâce au e-commerce pour l’achat de biens de consommation de luxe. Au sein du retail, les accessoires sont la catégorie de produits la moins impactée, contrairement à l’horlogerie qui en souffre davantage.

Ce déclin de l’horlogerie s’explique en grande partie par son manque de présence digitale et retail online. L’entreprise Farfetch, plateforme de vente en ligne spécialisée dans la mode haut de gamme, déclare que ses résultats pour Q1 2020 démontrent la force de leur modèle au sein de l’industrie du luxe.

La plateforme e-commerce favorise également ses partenaires retailers. C’est le cas pour Harrods qui a choisi Farfetch comme partenaire e-commerce avec le lancement de Harrods.com by Farfetch Platform Solution en début 2020. Les générations Y et Z sont les nouvelles cibles clés du secteur du luxe et poussent les marques à investir dans des stratégies digitales.

 

IV. Quels sont les enseignements de cette crise pour le secteur du luxe ?

 

Le secteur avait déjà initié sa transformation digitale en adoptant notamment le e-Commerce. Néanmoins, le degré de maturité reste inégal, il existe toujours des marques qui ne comptent que sur le retail physique pour accompagner l’acte d’achat en proposant une immersion exclusive dans leur univers.

 

Comment le secteur du luxe a-t-il réagi et comment va-t-il devoir se transformer pour faire face à cette crise sans précédent ?

 

Des certitudes qui volent en éclats

Le premier constat est que cette crise a fait voler en éclat ces certitudes. La Maison horlogère suisse Patek Philippe a accepté temporairement l’ouverture des ventes en ligne à ses revendeurs agréés. La Maison a pris cette décision pour faire face à la période de crise qui l’a obligée à fermer toutes leurs boutiques et ateliers de production. La direction de la marque a qualifié cette décision d' »exceptionnelle » puisque c’est la première fois que cette Maison propose des ventes online. Il reste à savoir si cette expérience motivera la marque à inclure le digital dans sa stratégie de vente.

 

Le e-Commerce, en direct ou via des e-Retailers, n’est cependant pas suffisant, pour les marques de luxe. Pour conserver leur identité et se démarquer, elles doivent continuer à innover et proposer des parcours clients uniques. Dans ce sens, la Covid-19 a été un facteur de créativité et de nombreuses expériences digitales se sont développées, notamment grâce à la réalité virtuelle et la réalité augmentée.

Par exemple dans le monde de la cosmétique, de nombreuses applications permettent au consommateur d’essayer virtuellement les produits. Si ces applications étaient déjà existantes, la Covid-19 a eu un effet accélérateur de déploiement.

 

Les « Lives Sales »

D’autres expériences hybrides et innovantes ont également vu le jour. Les Galeries Lafayette expérimentent depuis le 22 mai « l’Exclusive Live Shopping », une expérience d’achat unique qui met en relation le consommateur depuis chez lui, avec un conseiller physiquement présent dans le point de vente. Ce dernier réalise alors les achats grâce à la vidéo. L’offre concernée regroupe les 120 marques luxe et premium fashion et cosmétiques (Balenciaga, Jacquemus, Maje, Bonton, Dior, Sisley, Diptyque, Fresh ou Nars…). Les achats sont ensuite disponibles soit en Click & collect, soit livrés à domicile.

En Chine, en 2019 les « Live Sales » – les ventes filmées – ont explosé. Le live-stream e-commerce a cru de 71 %. Un peu plus de 60 000 « Live Sales » ont réuni 400 millions d’utilisateurs sur Taobao (80 % de parts de marché sur les « Live Sales »). Ce phénomène est en accélération depuis début 2020.

 

L’arrêt brutal du tourisme chinois

Un autre effet collatéral du Covid-19 est l’arrêt brutal du tourisme, et notamment du tourisme chinois. Le secteur fera face à une baisse soudaine de la demande des consommateurs chinois friands d’achat de produits de luxe pendant leurs voyages. Selon l’étude MAD, les marques de luxe vont être confrontées à deux effets :

  • La relocalisation des consommateurs chinois en Chine, qui va s’accompagner d’une accélération de la part de marché du marché intérieur chinois dans le secteur du luxe mondial qui passera de 8% à 22,5% (~60 milliards €) vers 2022.
  • Un développement de la consommation dans les villes de taille moyenne (283 villes de Chine), avec les conséquences sur le déploiement des boutiques physiques et de logistique e-Commerce.

 

Un recentrage vers les consommateurs locaux

Les marques vont devoir se retourner vers les consommateurs locaux pour tenter de compenser cette baisse de revenu. La réussite d’un tel défi passe par la connaissance fine des clients.

Et le digital, au-delà du e-commerce, est l’outil qui donne aux marques cette capacité de connaître leurs clients et de leur adresser des messages personnalisés.

Dans cette perspective, L’Oréal fait figure de bon élève contrairement à de nombreuses marques qui ont tardé à monter en puissance sur le digital dans les années précédentes et qui le payent aujourd’hui. “S’il est bien utilisé, le digital permet de rendre plus facile l’expérience d’achat et facilite les ventes. Durant le confinement, L’Oréal Luxe, dont la présence digitale est extrêmement forte, a mieux résisté à la crise que d’autres compétiteurs« , résume Jean Révis (fondateur de Madnetwork).

 

CONCLUSION

 

Avec le confinement mondial et la fermeture des boutiques physiques, le secteur du luxe a dû réévaluer ses certitudes et ses stratégies de développement.

Si une première réponse évidente a été le déploiement du e-Commerce en direct ou via des e-Retailers, la deuxième étape concerne l’activation des nombreux leviers digitaux, soit par des parcours clients innovants, soit par la nécessaire mise en place de CRM solides.

Même si cette stratégie peut s’avérer coûteuse et complexe à déployer, elle est indispensable, notamment au regard des maisons ou marques de luxe qui ont réussi à sortir leur épingle du jeu et au regard de la réorientation géographique de la demande mondiale notamment en Chine.
Quand on connait l’appétit des chinois pour le Digital (réseaux sociaux, e-Commerce, innovation), on peut s’attendre à voir émerger des nouvelles tendances et des nouvelles habitudes de consommation que les marques de luxe devront s’approprier.

Le risque d’une seconde vague n’étant toujours pas écarté, il leur reste peu de temps pour rattraper le retard pour les uns, ou pour continuer à innover pour les autres, à l’instar de Louis Vuitton, première marque de luxe à s’associer à Little Red Book, (Xiaohongshu) la plateforme de social-commerce la plus populaire de Chine.

 

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