Traçabilité des diamants : de la première mine à la seconde main

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La chaîne de valeur des secteurs de l’horlogerie et de la joaillerie se pare des complexités inhérentes à la sophistication des produits fabriqués : des gemmes et des matériaux rares provenant du monde entier, des métaux et des alliages précieux (or, argent, platine, palladium, rhodium, acier inoxydable, …) forgés dans des fonderies en Asie ou en Europe, des ateliers de production principalement en Suisse et en France, jusqu’aux différents points de vente en ligne ou dans les boutiques des marques.

« D’ici 2025, on estime que 20 à 30 % des ventes mondiales en joaillerie seront influencées par des considérations de durabilité », indique le rapport McKinsey The State Of Fashion: Watches and Jewelry (2021).

Face à cette complexité, cette chaine de valeur doit aujourd’hui relever les défis de la transparence et de la pérennité. Les clients de ces produits de haute qualité s’attendent à la plus grande visibilité possible en termes de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) : sites d’extraction déclarés, durables et respectueux des populations locales, intermédiaires clairement identifiés et traçables, conditions de fabrication conformes aux savoir-faire locaux.

 

La traçabilité événementielle comme solution de fiabilisation

Le début de la pandémie a fortement remis en cause les modalités d’approvisionnement de l’industrie et de sa durabilité, dans une chaine de valeur mondialisée. Comme l’indique l’étude Deloitte 2020 sur l’industrie horlogère suisse : « l’arrêt de la production en Chine début 2020 a posé problème à plusieurs fabricants de montres et composants, en mettant au jour les lacunes de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs stocks », avec pour conséquence la recomposition en cours des circuits d’acheminement des métaux, alliages et composants de toute une industrie, afin de réduire les distances, les délais et les risques liés aux ruptures d’approvisionnement.

Dans ce contexte fortement challengé et propice à l’innovation, les ambitions de « traçabilité événementielle » foisonnent chez les acteurs de ces secteurs, du site d’extraction jusqu’au client final, et notamment dans les interactions entre la Maison et le produit acheté.

On entend par traçabilité événementielle :

  • La faculté pour un ou plusieurs acteurs de suivre les étapes parcourues par les différents composants et produits finis au long de leur acheminement.
  • La capacité d’obtenir un historique de cet acheminement une fois qu’on dispose du produit à la fin de sa chaîne de valeur.

Cela passe par l’identification a minima des différents sites qui construisent cette suite d’étapes, de tous les éléments en circulation sur cette chaine (unités logistiques, matériaux, composants, produits finis) et pour finir, de l’association des deux en fonction d’un événement survenu à une date précise.

Pour illustrer ce concept de manière simplifiée, voici un exemple d’événements rencontrés sur la chaîne de valeur du diamant qu’il est nécessaire de tracer.

La mise en place d’un système de traçabilité événementielle nécessite la communication des différentes parties prenantes dans un langage commun, soit maillon après maillon dans la chaîne d’approvisionnement, soit dans une approche globale collaborative.

 

Les outils d’identification et de sérialisation

En termes d’outils, les secteurs de l’horlogerie et de la joaillerie se fondent généralement sur des identifiants internes, des solutions propriétaires et des outils d’agrégation des données de traçabilité dans un vision verticale. Plusieurs technologies appuient ces approches d’identification des groupes d’extraction minière. Ainsi Alrosa et De Beers ont chacun présenté ces derniers mois leurs initiatives internes de traçabilité.

Alrosa développe une technologie de marquage laser des diamants qui « ne peut pas être détruite ou polie », permettant à la pierre précieuse d’être identifiée « avec une précision de 100% ».

En parallèle, De Beers développe un programme de « source fiable » appelé « De Beers Code of Origin ». Cette initiative fournira la preuve qu’un diamant a été récupéré dans une mine de De Beers.

L’utilisation d’identifiants standards tels que définis dans diverses normes internationales, comme les hiérarchies numériques Dun & Bradstreet (codes D-U-N-S pour les entreprises) ou les standards GS1 (codes GTIN pour les unités commerciales et logistiques, les codes SSCC pour les expéditions, les codes GLN pour lieux, au sein du langage EPCIS) reste encore marginale.

 

Suivre unitairement les produits pour construire leurs historiques

Ces outils d’agrégation visent à stocker et organiser l’historique de la vie du produit et de ses composants, à chaque étape de leur acheminement et de leur fabrication : or extrait dans une mine en Russie, acheminé en avion vers l’Allemagne où il sera fondu, puis livré dans des ateliers de fabrication suisses où il sera ouvragé pour réaliser des bagues ornées de pierres précieuses, qui seront à leur tour vendues dans les boutiques de la marque dans plusieurs villes du monde. Autant d’événements qu’il sera nécessaire d’enregistrer dans l’outil et qu’il conviendra d’associer aux produits concernés. A la fin de la chaîne de valeur, on pourra ainsi reconstituer toutes les étapes suivies par le produit fini. On parle de « pedigree » ou de « e-pedigree » pour designer à un instant T l’ensemble du parcours produit jusqu’à présent, possiblement des matières premières jusqu’aux différents événements vécus par le produit fini.

 

Intégrer le suivi à l’échelle de l’entreprise…

Parmi ces outils d’agrégation de données de lieux, d’entreprises, de dates, d’événements et de produits, l’outil le plus couramment employé aujourd’hui appartient aux gammes de MDM (master data management), qui s’interfacent généralement avec les référentiels produits et les ERP.

Nombreux sont les exemples d’agrégateurs propres aux entreprises. C’est par exemple le cas du systèmes « Tracr » de De Beers : un actif numérique est créé au niveau de la société d’extraction de diamants, en enregistrant le pays d’origine et l’authenticité du diamant. Le diamant et l’actif numérique sont ensuite transférés au prochain acteur de la chaîne de valeur, comme par exemple l’entreprise qui taille et polit le diamant jusqu’au consommateur final. A noter que d’autres secteurs travaillent aussi avec des « bases EPCIS », qui permettent de stocker de l’information de traçabilité événementielle, conformément au standard international EPCIS. On retrouve des cas d’usage principalement dans le secteur des médicaments.

 

… puis partager et communiquer

Indépendamment ou en complément d’un MDM, l’utilisation de répertoires suivant la technologie blockchain trouvent leur pertinence dans les secteurs de l’horlogerie et de la joaillerie. Des acteurs de cette technologie comme Consensys (projet AURA avec LVMH, Cartier, OTB, Groupe Prada), Woleet (Ulysse Nardin), EverLedger (certification des diamants) proposent déjà des solutions de traçabilité événementielle à leurs clients.

Les bases de données d’une blockchain privée permettent de partager les informations de traçabilité événementielle entre des acteurs choisis, tout au long du cycle de vie du produit, suivant une approche collaborative entre parties prenantes à la fabrication et la commercialisation d’un produit. Les informations stockées sont enregistrées simultanément et répliquées sur de nombreuses bases de données, et toute modification de ces informations est authentifiée et tracée par des algorithmes. Dans le cas d’une traçabilité événementielle, chaque nouvelle étape de la chaîne de valeur du produit constitue une nouvelle modification de l’enregistrement dans les répertoires blockchain. Le e-pedigree d’un produit fini à un instant T sera la somme de toutes les modifications apportées à date. On dispose ainsi d’informations fiables et suffisantes pour certifier qu’un produit est authentique. Cette capacité ouvre de nombreux cas d’usage nouveaux, notamment dans le suivi du SAV et dans la gestion des produits de seconde main.

Dans ce dernier exemple, il sera alors nécessaire de croiser les données de traçabilité avec ses données clients.

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