Comment concilier innovations du Web3 et préoccupations environnementales ?

La troisième génération du Web s’accompagne de gains de productivité et d’efficacité dans les usages d’internet, déjà constatés dans de nombreux domaines. Les nouvelles technologies sur lesquelles repose le Web3, telles que la blockchain, les univers virtuels interactifs (« métavers ») et l’intelligence artificielle, présentent néanmoins une consommation d’énergie significative. Les révolutions portées par ce nouveau web seront-elles compatibles avec les exigences de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique ? 

 

  1. La blockchain : des données de moins en moins énergivores 
  1. Un mode de fonctionnement complexe 

Par nature, les technologies blockchain se fondent sur l’enregistrement d’informations sur plusieurs bases de données distribuées, de manière à sécuriser l’intégrité de ces informations. Cette technologie présente déjà de nombreux usages : protection de certificats de propriété ou d’authenticité des produits de luxe, création d’actifs numériques enregistrés au sein de NFT sur des blockchains privées (l’accès est limité à certains utilisateurs), jusqu’à l’échange de cryptomonnaies sur des blockchains publiques (l’accès reste ouvert aux nouveaux utilisateurs). 

Ces enregistrements et ces bases de données multiples nécessitent une consommation énergétique qui se révèle d’autant plus importante que le nombre d’utilisateurs et les usages en sont élevés.  Au sein de chaque blockchain, ces usages se fondent sur l’algorithme de consensus, dont le rôle consiste à attester la validité de chaque enregistrement. C’est notamment le cas des blockchains publiques (ex. Bitcoin, Ethereum, …) ouvertes à tout nouvel utilisateur, à l’inverse des blockchain privées et des consortiums blockchain qui limitent ou empêchent l’accès aux utilisateurs externes et aux informations enregistrées. Or pour fonctionner, les blockchains requièrent d’alimenter en électricité non seulement toutes les bases de données constitutives de leur réseau distribué, mais aussi toutes les opérations des algorithmes dans ces-mêmes bases. Cette consommation augmenterait avec la hausse du nombre d’utilisateurs du réseau et l’intensité croissante du minage de bitcoins. L’université de Cambridge (Cambridge Bitcoin Electricity Consumtion Index) estime ainsi la consommation d’électricité le la blockchain Bitcoin s’élève à 137 TWh (août 2023, lissé annuellement), soit l’équivalent de la consommation d’un pays comme la Suède ou la Malaisie. 

 

Conscientes de ces enjeux environnementaux, les principales blockchains adaptent leur mode de fonctionnement afin de réduire leur consommation énergétique. Jusqu’à récemment, des blockchains publiques assuraient l’intégrité des informations enregistrées via un protocole appelé « preuve de travail » (« proof-of-work »). Il s’agit via ce protocole de répliquer l’information sur plusieurs bases de données, voire toutes celles du réseau. Les algorithmes de consensus assurent la vérification de ces informations et les associent à la personne à l’origine de l’enregistrement. Pour un même enregistrement, ces opérations réalisées et répétées à l’échelle de l’ensemble des bases de données constitutives d’une blockchain publique expliquent la consommation énergétique élevée de la technologie blockchain. 

 

  1. De la preuve de travail à la preuve d’enjeu 

 

Dès septembre 2022, la blockchain publique Ethereum a été l’un des premiers grands acteurs de cette technologie à passer d’un protocole de type « preuve de travail » à un protocole de type « preuve d’enjeu » (« proof-of-stake »). Cet autre protocole repose sur un algorithme de consensus qui réclame un nombre de validation proportionnel à l’enjeu inhérent à l’enregistrement. Si par exemple, on enregistre sur la blockchain une grande quantité de cryptomonnaie ou des informations de grande valeur, un nombre plus important de validations seront requises. A l’inverse, si la valeur de l’information enregistrée est moindre, cela nécessitera moins de validations. Conséquence de l’adoption du protocole « preuve d’enjeu » : moins de duplication d’enregistrements et moins de complexité dans l’algorithme de consensus. Ce qui résulte en une consommation énergétique considérablement amoindrie. La Fondation Ethereum estimait dès 2021 que le passage d’une preuve de travail à une preuve d’enjeu réduirait sa consommation énergétique de 99,95%. En mai 2022, la Maison Guerlain (Groupe LVMH) lançait une collection de NFT sur la blockchain française Tezos, dont le processus d’authentification est lui-aussi fondé sur la preuve d’enjeu. D’après l’association professionnelle du Web3 ADAN, la consommation annuelle de la blockchain Tezos s’élève à 60 000 kWh/an, soit l’équivalent en moyenne de seulement 13 foyers français. 

Il convient néanmoins de noter que toutes les blockchains n’ont pas changé de protocole, et des réseaux notables comme BitCoin se fondent encore sur la preuve de travail pour l’enregistrement des informations. 

 

  1. Les mondes virtuels interactifs ou métavers : des applications durables au-delà du simple gaming 

Les métavers sont des mondes virtuels déjà largement utilisés, notamment dans l’univers des jeux vidéos, comme par exemple le jeu en ligne Fortnite avec 350 millions de joueurs, le réseau social Zepeto avec ses 200 millions d’avatars actifs, ou la plateforme Roblox spécialisée dans la conception et le partage de jeux, avec 43 millions d’utilisateurs. Au-delà des smartphones et des PC, les équipements nécessaires pour accéder aux métavers, tels que les casques de réalité virtuelle et les centres de données, consomment de l’énergie et émettent des gaz à effet de serre. De plus, la demande pour ces équipements pourrait augmenter avec la popularité de certaines plateformes, ce qui aggraverait cette pollution. Une étude de l’Université Capitol (The Environmental Impact of the Metaverse, de Sarah Choudhary, avril 2023) estime que les différents métavers pourraient engendrer jusqu’à 100 millions de tonnes de déchets électroniques par an d’ici 2030. Cela représente environ 15% des déchets électroniques générés dans le monde. L’étude estime que le métavers pourrait consommer jusqu’à 200 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone (MtCO2e) par an d’ici 2030, soit environ 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. 

Cette tendance semble néanmoins se compenser par l’apparition de tous les nouveaux usages de ces mondes virtuels. L’Université Cornell indique dans un de ses articles scientifiques (Growing Metaverse Sector Can Reduce Greenhouse Gas Emissions by 10 Gt CO2e in the United States by 2050, de Ning Zhao et Fengqi You, juin 2023) que le métavers a le potentiel d’aider à freiner le réchauffement climatique, en réduisant la température du globe de 0,02 degré d’ici la fin du siècle, et les émissions de gaz à effet de serre de 10 gigatonnes. Afin d’obtenir ces chiffres, les deux chercheurs se sont servis de modélisations fondées sur l’intelligence artificielle pour analyser les données de secteurs clés des technologies, de l’énergie, de l’environnement et du commerce. Ils estiment que les impacts positifs des métavers naitront de leur croissance continue en termes d’utilisateurs, et de l’impact des applications les plus prometteuses : travail à distance, voyages virtuels, apprentissage à distance, jeux et usages des NFT, … qui réduiront les impacts sur l’environnement de toutes nos actions quotidiennes. 

 

  1. L’intelligence artificielle : des modèles complexes au service de l’innovation verte 
  1. Un poids conséquent en émissions de gaz à effet de serre 

L’intelligence artificielle (IA) constitue l’un des piliers de la 3e génération d’internet : il s’agit de l’ensemble des systèmes qui peuvent raisonner, apprendre et agir de manière autonome. Ses implications sont nombreuses et dans plusieurs secteurs. Cette technologie présente aussi un impact environnemental important, en partie du fait des quantités d’énergie nécessaires aux centres de données qui hébergent les systèmes d’IA, surtout si ces centres de données sont alimentés par des combustibles fossiles. Or la « MIT Technology Review » a rapporté en 2020 que la formation d’un seul modèle d’IA peut émettre plus de 283 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone, soit près de cinq fois les émissions totales d’une voiture américaine moyenne. Et l’impact environnemental de l’IA ne se limite pas à sa consommation d’énergie, il convient aussi de prendre en compte tout le matériel nécessaire à son fonctionnement, tels que les serveurs, les processeurs ou les puces. Leur fabrication requiert des ressources en eau, en minerais et en énergie, sans compter les déchets induits. 

 

  1. Les avantages de l’IA pour améliorer son impact environnemental  

Les scientifiques tempèrent cependant cette approche pessimiste en valorisant les bénéfices environnementaux induits par l’utilisation de l’intelligence artificielle. Les chercheurs Jacqueline Corbett, Rohit Nishant (Université Laval) et Mike Kennedy (Université de Colombie Britannique) expliquent dans leur article « Artificial intelligence for sustainability: Challenges, opportunities, and a research agenda » (2020) que l’IA dispose du potentiel nécessaire pour résoudre les problèmes sociétaux majeurs, y compris environnementaux. La dégradation de l’espace naturel et le changement climatique sont des phénomènes extrêmement complexes qui nécessitent les solutions les plus avancées et les plus innovantes, dont celles offertes par l’intelligence artificielle. Des applications concrètes existent déjà dans le domaine de la prévention des feux de forêts, la modélisation des impacts du réchauffement climatiques sur les écosystèmes, ou sur la conception de chaîne de production moins consommatrices d’énergie et générant moins de déchets. Ainsi en Juillet 2023, le fabricant de véhicules haut de gamme Mercedes a annoncé qu’il dotait sa nouvelle plate-forme de données MO360 de modules d’intelligence artificielle pour en décupler les capacités. Le constructeur automobile allemand peut désormais créer une réplique virtuelle de son processus de fabrication de véhicules, combinant des informations issues de l’assemblage, de la planification de la production, de la logistique dans l’atelier, de la chaîne d’approvisionnement et du suivi qualité. La simulation virtuelle et l’optimisation des processus, avant de les exécuter concrètement dans les usines, accélèrent l’efficacité opérationnelle et engendrent des économies d’énergie tout en réduisant les déchets inhérents au calibrage continu des chaînes de montage. 

 

Vers un Web3 vert ? 

Le Web3 et les nouvelles technologies sur lesquelles il repose, tels que la blockchain, les univers virtuels interactifs (« métavers ») et l’intelligence artificielle, pourraient représenter un impact environnemental positif, malgré une empreinte écologique déjà significative. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : il reviendra aux concepteurs et aux utilisateurs de s’emparer du potentiel de ces nouvelles technologies pour les utiliser à bon escient dans des applications durables.